St Benoit Labre



COMMUNAUTE DE SAINT-BENOIT-LABRE, A SETTE CAMA

FÉVRIER 1890 – JANVIER 1892

1. Voyage de Mgr Carrie et du P. Ussel. Choix de l’ile Ngaley. Fondation.
2. Travaux d’installations. Maison bâtie. 3. Visite de Mgr Carrie. 4. Salubrité, Fertilité. 5. Mort d’un Frère indigène, le F. Alphonse Guidou. Maladie et départ du P. Ussel. Personnel. 6. Œuvres des enfants. Villages Environnants. Ancien villages de l’île. 7. Dispositions des Camas a l’égard de la Mission.
8. Soins donnés à des chefs. Leur bienveillance.

1.– En décembre 1889, Mgr Carrie reçoit de M. le commissaire général, gouverneur du Congo français, communication d’une lettre d’un chef de la rivière de Sette-Cama, demandant la création d’une école dans son village. Pour condescendre à ce désir, Monseigneur se décida à visiter cette rivière, limite de son vicariat au nord, et, à sa grande surprise, il la trouva de toute beauté. Sa Grandeur fut même étonnée de ce que les commerçants anglais qui y étaient établis n’y eussent point encore appelé des ministres protestants. Aussi, malgré la pénurie de ressources et de personnel, la fondation d’une nouvelle station dans cette partie extrême de la Mission fut-elle résolue.

N’ayant pu visiter la lagune que très rapidement, Monseigneur confia au P. Ussel le soin d’étudier d’avantage la rivière et de choisir un endroit répondant a tous les besoins de l’œuvre projetée. Le P. Ussel arriva à Sette Cama en mars 1890, et, grâce a la bienveillance des commerçants, grâce surtout à l’aimable hospitalité du chef du poste, M. Vey, qui l’hébergea un mois durant, il put bien explorer le pays. L’île Ngaley paraissant offrir toutes les conditions désirables, on en demande la cession a l’administration. Assez élevée et assez spacieuse (environs 200 hectares), elle est situe au centre de nombreux villages, a deux heures de pirogue des factoreries de la plage, a l’endroit ou la lagune commence a prendre sa plus grande largeur (15 a 20 kilomètres). Placée assez loin des factoreries pour n’être pas incommodée de leur voisinage, elle en est cependant assez rapprochée pour qu’on puisse y avoir recours en cas de nécessité.

Au commencement d’aout 1890, le P. Sublet, désigné comme aide à P. Ussel, put enfin, après bien de contretemps, partir de Loango à bord du Sergent Malamine, emmenant avec lui neuf enfants de la Mission. Ce vapeur exprès mit quatre jours à parcourir une distance franchie en dix-huit heures par les steamers ordinaires. Vingt Loangos, apprentis charpentiers ou manœuvres, l’avaient précédé de quelques jours.

2.– Raconter les commencements de la station de Saint-Benoit-Labre de Sette Cama, c’est refaire l’histoire de la plupart de nos Missions à leur début. Coucher sur la terre nue ou sur les fonds de pirogue, en plein air, ou sous un hangar expose a tous les vents et a la pluie; bâtir, en un ou deux jours, une petite case qui doit servir a la fois de demeure pour les Peres, les enfants et la basse-cour, de salle de communauté et de réfectoire, de magasin et de chapelle, c’est ce qu’on doit faire en Afrique, dans toutes les nouvelles fondations.

Cette petite hutte ne nous préservait guère des injures de l ‘air, car le soleil, le vent et la pluie se jouaient a plaisir a travers les cloisons par trop a claire-voie. Les nombreux insectes de la forêt y avaient leur libres entrées; de grosses fourmis rouge, attirées par les reliefs du repas du soir, ne se contentaient pas de si maigre pitance; elles paraissaient trouver plus succulente la chair même du pauvre missionnaire, occupe a prendre un repos cependant bien mérité. Malgré tout, on était heureux et content. Chaque matin, nous offrions le saint Sacrifice pour la régénération des pauvres Noirs. Et puis, nous étions chez nous dans notre ile. Nous évitions ce va-et-vient journalier entre l’île et une factorerie protestante des environs, qui nous aurait fait payer assez cher son hospitalité.

C’est dans cette case que nous célébrâmes les fêtes de l’Assomption, du Saint-Cœur de Marie et de la Toussaint. Cependant les ouvriers attaquaient vigoureusement la forêt, les charpentiers préparaient les bois pour les constructions définitives. Ces arbres leur étant inconnus, ils en coupèrent contre lesquels les haches s’émoussaient et se brisaient. Nous nous aperçûmes bientôt que notre choix n’était pas heureux: nos bois ne résistèrent pas longtemps aux tarières des insectes et il fallut recourir à d’autres.

Sur ces entrefaites (décembre 1890), nous arrivait le F. Vivien, avec un renfort de tailleurs de bois. La veille de Noel, une petite maison en planches était terminée: c’était le parloir et le magasin. Le parloir devint notre demeure. Nous ne pûmes résister au désir de célébrer la messe au milieu de la forêt, dans cet appartement qui avait bien des ressemblances avec le premier temple du divin Maitre. La, au milieu des caisses, des marmites, d’instruments de travail, sur une table mal equilibree, nous elevames un autel ou nous pumes offrir le saint Sacrifice. Lorsque, au milieu de la nuit, la voix sonore du cher F. Vivien entonna le Minuit, chrétiens, les habitants de la forêt: antilopes, perroquets et autres, réveillés par les chants, la fusillade, le tintement de la cloche et une illumination auxquels ils n’étaient pas accoutumés, chantèrent eux aussi à leur façon les louanges de l’Enfant-Dieu.

Il fallait se hâter de trouver des bois de charpente. On finit par découvrir, a trois quart d’heure de l’ile, une petite forêt d’assez beaux palétuviers. C’était loin, il fallait les tirer d’une boue infecte et profonde, et puis les transporter sur ses épaules à travers la forêt, sur une longueur de 500 mètres. Mais nous n’avions pas le choix. Nos jeunes Noirs y mirent tant d’ardeur et de courage que, en un mois, plus de deux cent pièces, mesurant 4 ou 5 mètres de longueur sur 15 cm de diamètre, étaient sur le chantier. Les pirogues chaviraient bien quelquefois ou coulaient à fond: heureusement qu’elles nous jouaient ces tours au sortir du port et non en pleine lagune, et on en était quitte pour quelques heures de retard, une corvée supplémentaire et un bain force dans la vase. La gaieté étant un préservatif excellent contre la fièvre bilieuse hématurique, les chercheurs de bois usèrent malgré tout largement de ce remède.

A suivre….
FÉVRIER 1892 – JANVIER 1895

1. Décès F. Anaclet  – 2. Personnel.  – 3 Œuvre des enfants, Maladie, Pèche. – 4. Œuvre des Filles.  – 5. Fêtes.  – 6. Cultures.  – 7. Constructions nouvelles. – 8. Ministère.

1.– Nous ne saurions commencer ce bulletin sans donner un fraternel souvenir au regretté F. Anaclet, décédé le 4 décembre 1893. Sette Cama a perdu en lui un missionnaire pieux, zélé, prêt à tout entre les mains de ses supérieurs. Pendant trois années, ce cher Frère a apporté un dévouement constant à notre Œuvre qu’il aimait passionnément.

Chargé d’abord du jardin et de la basse-cour, il désirait coopérer plus directement au salut des pauvres Noirs, et demanda comme une grâce qu’on lui confiât un cours de catéchisme. Mais ce n’était pas assez pour son cœur d’apôtre. Il rêvait d’aller là-haut, chez les Ashiras et les Ivaramas, apprendre à ces peuples les vérités de notre sainte religion et ouvrir les portes du ciel aux mourants. Ne pouvant réaliser ce beau désir, ce bon Frère se tachait d’y supplier en choisissant comme but de ses promenades, le dimanche, tantôt un village, tantôt un autre ; il en réunissait tous les habitants, leur faisait le catéchisme dans une langue moitié française moitié Flote, que les Noirs comprenais quand même. Aussi ceux-ci aimaient beaucoup l’enfant missionnaire, et plusieurs ont versé des larmes en apprenant sa mort.

Ce cher Frère, jeune encore, actif, entreprenant, pouvait rendre à la Mission de grands et de nombreux services. Le bon Dieu, dont les desseins sont impénétrables, en avait décidé autrement. Vers le milieu du mois de novembre, le bon F. Anaclet souffrait d’un petit furoncle noir qui lui était venu au-dessus du genou. Ce clou lui avait donne un peu de fièvre. A peine était-il guéri qu’il lui en vient un autre place dans la région du cou, sous l’oreille droite. La fièvre se déclara plus forte que la première fois. Les cataplasmes ne firent pas aboutir ce furoncle de mauvaise nature. La fièvre résista aux remèdes usités en pareil cas vomitif, purgatif, injections de quinine et autres. Le 4 décembre dernier, le bon Frère nous quittait pour le ciel, saintement résigné, après avoir offert sa vie pour le salut de Noirs, et en particulier de ses élèves de Sette-Cama.

Le Européens qui habite dans la Rivière, appartenant pour la plupart à la religion protestante, nous n’avions pas jugé à propos de les inviter aux funérailles de notre regretté défunt. Beaucoup cependant on tenu à accompagner jusqu'à sa dernière demeure celui que nous pleurons, témoignant ainsi de leur estime et de leur sympathie pour le cher Frère et pour notre Œuvre.

2.– Le personnel de la station de Sette Cama a subi, pendant ces deux dernières années, divers changements. Le P. Carrer, directeur de l’œuvre de Saint-Joseph, a été appelé, à la fin de l’année 1892, à Loango, pour y remplacer le P. Gaétan, dont la santé délabrée exigeait un prompt retour en Europe.

Le P. Brand nous fut alors envoyé de Mayumba, bien fatigué de la poitrine. Quoique le climat de Ngaley lui convint mieux que celui de Mayumba, ce cher confrère ne put se charger de la direction des enfants et encore moins de faire une classe; il dut s’occuper de l’économat. Mais bientôt une forte hémorragie l’affaiblit tellement que tout travail lui devint impossible.

A la fin de novembre 1893, ce cher Père, qui nous avait édifiés par sa patience et sa régularité, était remplacé par un nouveau profès, plein de force et de vigueur, le P. Charles Démaison, qui avait commencé son acclimatation au Congo, par une forte fièvre bilieuse.

Le personnel est donc compose, actuellement, du P. Sublet, supérieur-économe ; du P.Ch. Démaison, directeur de l’Œuvre des enfants ; et de l’abbé Gaspard, clerc indigène, chargé d’une classe, de la surveillance et de la sacristie.

3.– L’œuvre la plus importante dans nos Missions est certainement, pour le présent, l’œuvre de la Sainte-Enfance, que nous appelons aussi Œuvre de Saint-Joseph ou Œuvre des Enfants. Les Noirs un peu âgé se convertissent difficilement. Pour embrasser une religion qu’ils admirent, ils ont bien des chaines à rompre ; d’abord une apathie dont on ne peut guère se faire une idée ; il y a ensuite l’attachement aux fétiches, il y a surtout la polygamie.

C’est donc sur la jeunesse que nous portons tous nos soins et nos efforts, que le bon Dieu semble bénir. Il y a trois ans aujourd’hui que King William nous amenait les premiers enfants pour l’école. Actuellement, nous en avons quatre-vingt-dix. Le nombre des enfants ayant séjourné à la Mission un temps plus au moins long s’élève à cent dix-huit. Quelques-uns nous ont quittes souffrant d’une maladie qu’en Europe on décore du nom savant de nostalgie, et que les Noirs d’ici appellent tout crument nzala dimbu « faim du village ». D’autres sont partis pour un monde meilleur, après avoir édifié leurs camarades par une sainte mort.

Ces petits négrillons ont un excellent esprit ; ils sont pieux, obéissant, assez actifs au travail manuel, et ont assez de gout pour l’étude. Quelques fonctionnaires de Libreville, venus à Sette Cama pour un motif ou pour un autre, ont été surpris des résultats que nous avons obtenus.

Mais ce qui console grandement le cœur du missionnaire, c’est l’ardeur que ces enfants apportent à l’étude du catéchisme, surtout depuis qu’ils ont entre les mains un catéchisme traduit et imprimé dans leur langue.

Depuis le dernier bulletin, nous avons eu le bonheur d’en régénérer une soixante dans les Caux du baptême. Six ont été admis à faire leur première communion. C’est un commencement ; si petit qu’il soit, il dédommage le missionnaire de bien de peines, et lui fait oublier toutes ses souffrances.

Nos enfants se préparent à la réception de ces deux sacrements par une retraite de trois jours. Ils en suivent les différents exercices avec un grand recueillement. Nous les avons vus, pendant ces retraites, ne pas prendre part aux recréations, et cela de leur propre volonté, et aller à l’écart réciter ensemble leur chapelet et les autres prières qu’ils connaissaient. On en a même trouvé un petit, qui pendant le travail, d’une main égrenait son chapelet, et l’autre, avec sa petite houe, sarclait le manioc.

Ils ont une grande dévotion à la Sainte Vierge et au Sacre Cœur de Jésus. Tous ceux qui sont baptisés font partie de l’apostolat de la prière. Deux d’entre eux qui ont eu le bonheur de faire leur première communion sont fidèles à s’approcher de la table sainte le premier vendredi de chaque mois.

 L’état sanitaire, l’année dernière surtout, a laissé un peu à désirer chez nos enfants. A peu près tous ont séjourné un temps plus au moins long à l’infirmerie. Ils avaient dans les intestins une quantité de lombrics volumineux. La santonine incorporée dans l’huile de ricin parvint bien à expulser ces terribles parasites, mais quelques-uns, les plus faibles, ne purent se remettre des dégâts causés dans leur estomac par ces animaux. Ne sachant à quoi attribuer cette invasion dont nous avions  été indemnes les deux premières années, nous crûmes bon d’en référer au docteur Descous, à Loango. Celui-ci voulut bien nous répondre que c’était l’eau qu’il fallait incriminer, que, par conséquent, il fallait ou la faire bouillir ou la filtrer, ou trouver une autre source. Nous nous hâtâmes d’installer une grande chaudière au milieu de la cour, ou les enfants avaient bien soin de venir se désaltérer avant que l’eau eût bouilli, et les vers continuaient leurs ravages.

Nous installâmes deux filtres en pierre, qu’il aurait fallu, comme la chaudière, mettre sous clef, mais à ce moment, nous étions en pleines constructions ; les cases en bambou avaient été démolies et rien chez les enfants, n’était sous clef. Au lieu de prendre de l’eau filtrée, bonne pour les Blancs seulement, disaient-ils, ils s’ingéniaient pour la boire non filtrée, malgré des corrections exemplaires, et les douleurs d’estomac continuaient. D’autre part, nous fîmes des recherches pour trouver une autre source, mais nous ne fûmes pas heureux.

Le P. Démaison vient d’installer un filtre très simple et très économique. C’est une grande barrique, fixée très solidement à 0.60 m au dessus de terre. Cette barrique contient une forte couche de charbon pilé entre deux couches de sable bien fin ; les enfants ne peuvent plus prendre l’eau dans le filtre, et nous espérons que cette fois nous serons délivres de ces tristes ascarides.

Deux autres enfants rachetés, qui nous venaient de bien loin (des Butjabi), sont morts, peu de temps après leur arrivée ici, de suites d’un gout dénaturé. Ils jetaient la nourriture que l’on leur donnait, même le poisson, pour se repaitre de terre. A l’infirmerie, ils avaient bien soin, quand ils étaient seul, de ramasser la poussière du plancher, pour s’en nourrir. Nous leur attachâmes les mains, précaution inutile ; ils parvenaient à s’étendre à plat ventre et à lécher le plancher. Ils ont expiré dans les convulsions rappelant singulièrement l’épilepsie. Nous avons eu tout juste le temps de les baptiser in articulo mortis.

Le Noir de ces pays n’est point difficile pour sa nourriture. Il ne connait pas les assaisonnements. Cependant, s’il n’a pas de temps en temps un peu de mbitsi (viande) sur lequel il puisse frotter son pain de manioc, il devient bientôt morose. A plusieurs reprises, nous avons engagé un chasseur chargé de nous délivrer des antilopes grandes et nombreuses qui causent beaucoup de dégâts dans nos plantations. Ils n’ont été heureux ni les uns ni les autres. Les antilopes, disent-ils, sont frappées mortellement, mais elles oublient de rester sur place.

Nous avons alors songé au poisson de la rivière. Dernièrement nous recevions un magnifique filet trémail. Nos pêches jusqu'à ce jour n’ont pas été miraculeuses. Les gros poissons traversent le filet, y font des trous immenses ; ceux d’un calibre plus petit sont trop rusés pour se faire prendre. Un caïman, cependant, a réussi à y laisser la vie. Il avait 3 mètres de long et pesait plus de 100 kilos, et c’était un muana, un enfant, disaient les Noirs. Il a fallu se servir de la hache pour lui enlever la peau. Quelle joie pour nos petits Noirs en voyant tant de mbitsi devant eux ! « Pas d’os, disaient-ils, rien que la viande. Ca passe l’antilope. »

Aussi ils n’en ont rien laissé perdre, pas même les entrailles, qui auraient perdu leur saveur et leur sauce si elles avaient été nettoyées et vidées.

Ceux qui nous viennent des Ivaramas sont moins délicats encore que les enfants du bas de rivière. Rats, boas, vipères cornues, serpents cracheurs, tout cela est délicieux pour eux.


4.– Nous avons fait tous nos efforts pour créer une œuvre de filles rachetées de l’esclavage. Car nous devons songer à établir nos jeunes gens, si nous voulons les voir persévérer. Notre situation financière ne nous permettant pas d’avoir des religieuses européennes. Mgr Carrie nous envoya, l’année dernière, un jeune ménage chrétien auquel nous pûmes confier les petites filles que nous venions de racheter. Nous devons remercier Dieu des résultats obtenus par ce premier essai. La jeune femme conduit très bien son petit monde, elle sait s’en faire aimer et surtout respecter. Chaque jour, elle les amène à la Mission, où nous leur faisons le catéchisme. Elles suivent le même règlement que nos petits garçons ; travail manuel, classe, prière. Nous aimons a espérer que le petit village de Saint-François de Sales, compose actuellement d’une case unique, s’agrandira avant la fin de l’année.

Cette œuvre a eu également ses jours d’épreuve. Au commencement de février, le chef du village chrétien perdait son unique enfant, âgée d’environs deux mois.

Cette petite fille, que nous aimons à appeler l’ « Enfant du Sacré Cœur « (elle était née le vendredi 1er décembre), était emportée en quelques heures par le croup.

Nous donnions alors asile dans ce village à une pauvre négresse dévorée par un chancre, Briaka, libérée par M. Forêt, notre administrateur.

Voyant cette petite fille morte, notre sauvage commence par pousser des cris épouvantables et, persuadée qu’on allait l’accuser d’avoir mange l’âme de la petite défunte, elle prend sa petite fille à elle dans ses bras et se sauve dans la forêt, ou elle resta malgré la pluie qui tombait par torrents.

Nous ne la retrouvâmes que le troisième jour. Ramenée au village, elle essaie de se jeter dans la rivière ; on l’en empêche. Elle refuse toute nourriture, se couche sous la véranda ; une demi-heure après, elle était morte. Mazomba Mathias, chef du village, prévoyant le danger, avait pu lui confier le sacrement de la régénération.

5.– Nous tachons de donner aux offices religieux, et particulièrement aux principales fêtes de l’année, le plus de solennité possible. Les Noirs aiment à voir nos cérémonies et ils viennent volontiers à la messe le dimanche. Souvent, malheureusement, ils n’ont pas de pirogues disponibles ; plus souvent encore, ils ne savent quand c’est dimanche. Ici, les Noirs ont bien un jour de repos qu’ils appellent « tsona ». Leur semaine est de quatre jours : trois jours de travail et le quatrième « tsona » repos. Il serait plus exact de dire qu’ils ont repos du 1er janvier au 31 décembre. Ils ne viennent donc pas parce qu’ils ignorent quel jour ils doivent assister à la messe. On pourrait obvier à cet inconvénient en faisant l’acquisition d’une cloche assez forte, qu’on ne sonnerait que les dimanches et fête de précepte. Mais nous n’avons qu’une petite cloche, qu’on entend à peine du village chrétien, et qui, de plus, a le malheur d’être fêlée. Nous laissons à Saint Benoit Labre, notre patron, le soin d’en procurer une à sa chapelle!

Depuis quelque temps cependant, le samedi, nous faisons avertir dans les villages voisins que, le lendemain, c’est « tsona » à la Mission. Quelques Noirs viennent, mais, d’habitude, quand la messe est finie. Nous profitons tout de même de leur présence pour les instruire un peu des vérités de notre sainte religion. Ils écoutent volontiers, pourvu que cela ne dure pas longtemps.
Les jours de fête, principalement à Noël et à Pâques, nous nous ingénions pour orner de notre mieux notre petite chapelle, chaque année bien défraîchie par les pluies. Ces jours-là, les païens nous arrivent nombreux des villages, ne se lassent pas de voir, surtout de demander des explications sur tout ce qu’ils viennent d’admirer. Et ils retournent chez eux tout heureux d’avoir vu et entendu des choses si belles.

6.– Un mot de nos cultures. Depuis le dernier Bulletin, l’ile Ngaley a bien changé d’aspect. L’immense forêt, qui nous cachait la vue de notre splendide lagune, au nord et au sud, a disparu pour faire place à des beaux champs de manioc et de bananiers. Nous avions défriché, jusqu’à ce jour, 16 hectares environ. 4000 pieds de bananiers nous rapportent de beaux régimes. Depuis deux années, le travail de nos enfants leur fournit plus de la moitié de leur ration journalière.

M. Pierre, directeur du jardin d’essai à Libreville, a eu l’amabilité de nous envoyer 4000 plants de café de Liberia, et 1300 cacaoyers. Tous ces jeunes plants demandaient une assez grande étendue de terrain, et rien n’était préparé pour les recevoir. Il fallait se hâter cependant, car ils avaient été mouillés par l’eau de mer au débarquement. Nous les plantâmes entre les bananiers, ne comptant guère sur leur réussite, nos occupations nous permettant peu de leur donner les soins qu’ils exigeaient. Un bon nombre, cependant, semble réussir. Mais les essais que nous avons faits dans les environs du jardin sont absolument concluants : avec quelques soins, caféiers et cacaoyers réussiront très bien à Sette-Cama.

Ce bon monsieur nous a fait parvenir 2 petites boutures d’arbre à caoutchouc du Brésil, qui ont admirablement prospéré. Plantées en mai 1892, en novembre 1893, le bon F. Anaclet y coupait 300 boutures nouvelles qui réussissent également bien, malgré les ravages qu’y font les grandes antilopes rayées.

Nous avons fait cette plantation de caoutchouc dans le but unique d’en fournir aux Noirs de la région. Le caoutchouc est, en effet, le principal objet de commerce de Sette Cama. Il est produit par quatre ou cinq espèces de liane. Pour le cueillir, Les Noirs sont obligés de rester plusieurs mois dans la forêt où, souvent, ils contractent des maladies et où ils ont à se défendre contre les bêtes fauves : tigres ou gorilles. Aussi que de remerciements ils nous ont exprimés, lorsque nous leur avons annoncé que, l’année prochaine, nous leur donnerions des boutures d’un caoutchouc meilleur que celui de la forêt, qui ne demanderait pas plus de soins que leur manioc, et que, par conséquent, ils pourraient cultiver près de leur villages.

De notre coté, nous y trouvons aussi un avantage précieux. Lorsqu’il parcourra les villages, le missionnaire n’aura plus de regret, pendant la belle saison, de trouver ces villages à peu près dépeuplés. Ils nous confieront aussi plus volontiers leurs enfants qui, à cette époque, sont également occupés, tantôt à porter des vivres à ceux qui restent dans la forêt, tantôt à saigner ou à couper les lianes à gomme.

7.– Le nombre de nos petits écoliers augmentent rapidement, le local qui les abritait était devenu peu salubre et insuffisant. De nouvelles constructions s’imposaient.

De retour de Buanza et à peine remis d’une bilieuse hématurique, le regretté F. Vivien nous arrivait, le 17 mars 1893, avec ses charpentiers et des travailleurs noirs. Cette fois, à l’exception des planches pour la mission des enfants et des tôles pour la toiture, qui devaient nous arriver d’Europe, il fallait tout se procurer sur place. Le bon F. Vivien dut aller bien loin, à plus de 2 lieues, chercher dans la boue les bois necessaire pour les planches et la charpente. Il n’hésita pas à payer largement de sa personne. Son exemple encourageait les ouvriers ; son activité devancait même les meilleurs charpentiers ; et lorsque les ouvriers trouvaient la tâche un peu rude (elle l’était souvent), il savait au besoin les stimuler.

Quatre mois plus tard, le 17 juillet, tout était achevé. Le cher F. Vivien nous quittait bien portant pour retourner à Loango, où, deux mois après, il succombait à un nouvel accès de fièvre bilieuse. Les prières qu’auront faites, pour le repos de son âme, les nombreux missionnaires et les enfants plus nombreux encore auxquels il avait procuré un abri confortable, lui auront bien vite, nous n’en doutons pas, ouvert les portes du ciel.



Les constructions faites, en 1893, à la Mission de Sette Cama sont :

   1° La maison des enfants. Construite sur piliers en fonte, longue de 20 mètres sur 6 de largeur, elle a 5 mètres de hauteur jusqu’aux sablières, ce qui nous a permis d’établir sur toute sa longueur un beau dortoir où les enfants n’ont pas à craindre la fraicheur de la saison sèche. Une petite véranda donne accès à trois belles salles. C’est certainement la maison des enfants la mieux conditionnée de tout le vicariat.

   2° Nos cases fiotes, qui servaient de cuisine, magasins, infirmerie pour les enfants, tombant en ruine, dévorées par les fourmis blanches, on a construit un beau batiment de 18 mètres de long sur 5 de largeur, tout en planches du pays. Il est également sur colonettes en fer et comprend une infirmerie-pharmacie, deux magasins et une cuisine à claire-voie.
Le bon F. Anaclet a construit dans cette cuisine un fourneau en maçonnerie, ou sont fixées trois grandes marmites, lequel produit sur les visiteurs une impression profonde.
Le bâtiment est embelli par une véranda, large de 3 mètres fermée jusqu'à une certaine hauteur par des feuilles de zinc ; c’est le réfectoire des enfants ; c’est la aussi qu’ils viennent s’amuser ou travailler, lorsque la pluie ne leur permet pas de rester dehors.

   3° Le batiment, comprenant le parloir et le magasin d´achat, avait le grand inconvénient, par sa situation même, d´introduire les étrangers à l´intérieur de la communauté. Nous avons dû à construire un autre mieux situé et qui nous débarrasse des visiteurs peu discrets.
L´ancien parloir est devenu la cuisine des Pères, et cette dernière abrite un nombre déjà bien respectable de poules et de canards.

   4° Nos cabris, laissés à l´état libre, couraient un peu partout, brisant le manioc. Cette gent, portée à mal faire, semblaient choisir de préférence nos plantes, nos arbustes les plus précieux. Il était grand temps de mettre un frein a leur caprices. On leur construisit une belle maison dans la vallée sur la route du jardin. La moitie du batiment sert de porcherie, et l´autre est habitée par des moutons et des chèvres dont le nombre a été bien diminue par une épizootie qui a sévi dans tout le pays. Un enclos entourant un espace de six ares leur permet de prendre leur ébats.

Enfin, notre petite chapelle n´avait ni table de communion, ni tribune ; le F. Vivien avait promis qu´il ne quitterais pas Sette Cama avant d´avoir fait ce travail pour le bon Dieu ! "J´ai fait des travaux pour tout le monde ici, disait-il : Pères, enfants, Noirs, poules, cochons, cabris. M´en aller sans faire quelque chose pour la chapelle, ça, jamais ! Vous avez besoin d´une table de communion. La tribune n´est pas encore necessaire, mais ça ne tardera pas. Pour sûr, je ne viendrai pas de Loango exprès pour vous le monter. Et puis, c´est quelque chose de phénoménal, j´ai du bois de trop ! ce qui ne m´est jamais arrivé nulle part ! Ce dernier travail sera mon travail d´adieux à Sette Cama." Et le dimanche 16 juillet, fête de Notre-Dame de Mont-Carmel, le cher Frère étrennait la table de communion. Il étrennait aussi la tribune en chantant de sa voix puissante le cantique qu´il aimait tant à répéter : "Je suis l´enfant de Marie."

Avec toutes ces constructions, nous espérons bien n´avoir plus besoin de charpentiers pendant longtemps. Il reste à construire un hôpital ; une grande case en bambous est bien suffisante pour le moment.

Nous pouvons recevoir à l´école de 130 à 150 enfants. C´est bien le chiffre maximum que nous osions espérer atteindre. Car, il n´y a pas à ce faire illusion: les villages sont assez nombreux, il est vrai, mais les enfants y sont rares. Ces peuples semblent se suicider eux-mêmes. Il est vrai que les Pahouins s´approchent ; ils ont déjà construit deux villages tout près de l´embouchure de notre rivière. Nous n´avons pu encore les visiter, mais un de leurs chef est venu nous voir de lui-même et nous a confié un enfant. Il est probable que dans quelques années ils peupleront toute la rivière. Ce sera peut-être un bien.

8.– Jusqu´à présent nous n´avons guère pu nous occuper du ministère extérieur, nos installations premières ayant absorbé tous nos moments. Du reste, l´insuffisance du personnel nous a mis, l´année dernière et cette année, dans l´impossibilité de nous absenter. L´Œuvre des enfants exige absolument deux religieux européens : un Père pour la direction de l´Œuvre et l´école, un Frère pour surveiller les travaux manuels et le matériel.

Auprès les Européens, c´est ici comme ailleurs, hélas ! Le ministère est malheureusement trop facile. Ils témoignent de l´intérêt à notre Œuvre, nous félicitent et c´est tout. Notre ancien administrateur, M. Forêt, a beaucoup travaillé auprès les Noirs pour qu´ils nous confient leurs enfants et c´est à lui que nous devons en grande partie le nombre actuel de nos élèves. Nos décès de l´année dernière nous ont empêchés de dépasser la centaine.

Au poste de Sette Cama, nous avons trouvé quelques anciens enfants de la Mission de Libreville, canotiers de la douane, miliciens, etc. Leur service ne leur permet pas de venir bien souvent à la Mission. Ils sont exacts à nous demander médailles, croix ou chapelets quand ils n´en ont plus. Ils se ressentent, hélas ! du contact des Européens. Ne pouvant les visiter fréquemment, nous venons de charger l´interprète du poste, Basile Kunga, de leur faire chaque jour une bonne demi-heure de catéchisme en pongoué. Monsieur le brigadier des douanes, chef du poste intérimaire, pour s´assurer qu´on ne manque pas à cet exercice, y assiste lui-même : chrétiens, païens, païennes sont présent chaque jour régulièrement à ce nouveau cours.

En 1892, le P. Supérieur a pu parcourir les différant lagunes de la rivière Ndogo. Tous les villages on été visités, mais comme c´était à la saison sèche, il a eu le regret de ne pas rencontrer beaucoup de monde. Chaque fois, cependant, il a amené quelques enfants à la Mission.

L´année dernière, le P. Supérieur se proposait également d´accompagner M. l´administrateur chez les Eshiras et les Evaramas ; malheureusement, ce voyage fut retardé et entrepris seulement au commencement de décembre. Laisser tout seul le P. Démaison, qui venait de nous arriver mal remis de sa fièvre bilieuse, était impossible. M. l´administrateur mit deux mois à effectuer son voyage ; il nous arrivait à la fin de janvier, nous amenant 15 jeunes Evaramas et une fille déjà assez grande. "Et j´ai du refuser des garçons" ajoutait-il.

Ce monsieur a trouvé là-haut un pays magnifique, fertile, des villages nombreux, grands, où les enfants fourmillent. Ces peuples, où le commerce n´a pas encore pénétré, sont bons, doux, affables, pas du tout sauvages. En les quittant, il a été obligé de leur promettre que bientôt on établirait une école chez eux.

Daigne le Cœur sacré de Jésus nous procurer les ressources et nous envoyer des missionnaires remplis du zèle apostolique, pour aller établir le règne de Dieu au milieu de ces peuplades qui nous désirent et nous appellent !

COMMUNAUTE DE SETTE CAMA
1895 - 1896

Nous n´avons absolument rien reçu de Sette Cama. Par une lettre de Mgr Carrie, nous savons seulement que tout va bien dans cette Mission et que son personnel en ce moment est ainsi composé : supérieur et économe, le P. Herpe; chargé de l´œuvre des enfants, le P. Koffel; du ministère et de la sous-direction des enfants, le P. Murard; du jardin et des travaux agricoles, le F. Similien et un Frère indigène, le F. Dominique. – l´œuvre comprend 100 garçons, 6 filles et 1 village chrétien en formation.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT-JOSEPH LABRE A SETTE CAMA
1896 – Aout 1898

Œuvres d´enfants. – Ministere

Personnel –  PP. Herpe, supérieur, directeur de l´Œuvre des enfants ; et Murard, chargé du ministère ; FF. Auxène, instituteur ; Similien, sacristain, magasinier ; Frère indigène, Dominique, surveillant des travaux.

On compte dans l´œuvre 110 enfants. Cinq entre eux ont quitté notre île de Ngaley, pour entrer au séminaire et au noviciat de Mayumba. D’autres sont retournés dans leurs villages ou nous espérons les fixer comme catéchistes. Nos petits Noirs, pour l’ordinaire, joignent à une grande simplicité une honnêteté naturelle qui les distingue de leur frère de la côte ; et devenus chrétiens, ils se font remarquer par une entière soumission et un profond attachement à la personne du missionnaire.

Le ministère commencé à prendre de l’extension. Un Père en est spécialement chargé ; et, grâce à son zèle et à son esprit d’initiative, il a pu réussir à catéchiser certains principaux centre et à baptiser quelques moribonds. Malheureusement, les voyages en pirogue sont excessivement couteux, et pour une sortie d’une heure on est obligé de recourir aux bras de quatre robustes pagayeurs, qui font payer cher leurs services. Néanmoins le bien se fait, on a atteint, après une année de travaux, le chiffre de 60 baptêmes et de 34 premières communions.

De riches plantations enjolivent notre île. Notons en particulier nos beaux caféiers qui nous ont fourni 1,100 kilo du grain délicieux que tout le monde connait.

Mgr Carrie, qui à aussi visité cette station, à son retour du Gabon, écrivait à la Maison-Mère:
L’œuvre de Sette Cama marche bien. Il y a déjà sept mariages chrétiens. Les Pères font du ministère. Il y en a presque toujours un en course apostolique. L’influence chrétienne pénètre ces populations. La Mission est très bien vue d’elles. Le ministère y est facile, grâce à la lagune. Les villages sont beaucoup plus nombreux qu’on n’avait cru tout d’abord.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT-JOSEPH LABRE A SETTE CAMA
Septembre 1898 – 1899

1. Œuvres d´enfants. Répartition en trois catégories. – 2. Cultures, - 3. Ministères. Catéchistes. – 4. Compagnie concessionnaire.

Personnel
P. Koffel, supérieur et directeur de l’oeuvre des enfants ; P. Murard, chargé spécialement du ministère extérieur ; F. Auxène, instituteur, et F. Dominique, indigène, chargé du matériel. 
Depuis la mort du P. Sublet, décédé à la fin de 1894, la santé de tous les membres de la Mission s’était assez bien soutenue, quand, au bout de quatre ans, nous avons été attristé par deux décès survenus à très peu d’intervalle :  celui de F. Similien, enlevé subitement par une maladie de poitrine le 21 novembre 1898, et celui du cher et regretté P. Herpe, notre précédant Supérieur, terrassé le 4 février 1899, par une fièvre bilieuse hématurique, ou plutôt par un empoisonnement, selon une rumeur en cours parmi les Européens et les indigènes de Sette Cama. (Bulletin, N° 143, p, 519 ; N° 147, p. 34.)

1.– Malgré les difficultés et les épreuves, les œuvres de la station vont toujours en progressant. Jusqu'à ces dernières années, on admettait indistinctement à l’école primaire tous les enfants rachetés ou confiés par les chefs. Mais, sur une centaine d’enfants, trente à peine étaient aptes à profiter de l’instruction. Il fut donc établi, suivant la circulaire de Mgr Carrie de 1897, que l’on ne recevrait plus aux classes que ceux qui montreraient les aptitudes et les dispositions voulues, et les autres furent peu à peu éliminés de l’école.

Quant aux nouveaux arrivés, ils sont désormais placés dans une catégorie préparatoire, ou ils restent le temps convenable pour apprendre les vérités nécessaires de la religion et les choses usuelles de la vie. De là, ils passent, selon leur aptitudes, chez les écoliers, ou bien chez les apprentis. Nous avons ainsi maintenant trois catégories d’enfants bien distinctes, ce qui rend leur formation beaucoup plus facile. Nous en avons déjà envoyé cinq des meilleurs à Mayoumba, pour le petit séminaire ou le postulat des Frères.

L’effectif de l’œuvre, après être descendu en 1898 de 110 à 50, augmente actuellement d’une façon bien consolante. Par le passé, il nous fallait aller chercher nous-mêmes des enfants dans les villages ou nous contenter de pauvres petits esclaves ; maintenant les chefs viennent spontanément nous confier leurs fils et l’on a déjà souvent constaté que les enfants de condition libre sont plus susceptibles de recevoir une bonne éducation.

L’Œuvre comprend actuellement 80 garçons, dont 50 à l’école primaire et 30 à l’école agricole ou professionnelle. Il y a en outre 10 filles confiées à une de nos chrétiennes.

2.–  Malgré le peu de gout naturel de nos jeunes Noirs pour le travail, nous sommes arrivés, pour nos cultures, à des résultats remarquables. Au concours agricole de Libreville, on nous a même accordé une récompense pour nos plantations et notre jardin.

Nous mettons en première ligne la culture des bananes et du manioc, qui forment la base de l’alimentation indigène. La patate ne réussissant pas, on l’a remplacée par les arachides, qui viennent à merveille. Nous avons, en outre, comme cultures secondaires : ambrevades, mais, ananas, caféiers, cacaoyers, etc. On va même entreprendre une plantation de caoutchouc de Ceara.

Ngalé, par ses magnifiques plantations d’orangers, de manguiers, d’avocatiers, de corossoliers et de goyaviers, fait aujourd’hui l’admiration des visiteurs. "Ngalé beaucoup changé ! Ça n’est plus Ngalé d’autrefois ! " disent les indigènes. Pauvre gens ! Ils pourraient faire de même, s’ils voulaient. Mais hélas ! dans ce pays ce n’est pas la mode de travailler, le travail est un déshonneur.

3.– Pour notre ministère, en voici les résultats depuis le mois d’août 1898, date de notre dernier Bulletin, jusqu’en décembre 1899 : Baptêmes , 103 ; premières communions, 22 ; confirmations , 24 ; mariages , 5.

Un vaste champ s’ouvre ici au zèle du missionnaire. Rien que, sur le bord du lac Ndogo, on compte plus de 8,000 âmes, reparties en 230 villages : ce sont des Loumbous. Plus loin sont les Varamas et les Mpaouins.

Grace au dévouement du P. Murard, spécialement chargé du ministère dans les villages, nous avons eu à enregistrer de nombreux baptêmes de moribonds. Le difficile est d’arriver au chevet des malades. Dès que la pirogue du missionnaire est en vue, on s’empresse de les cacher. Et si vous en demandez des nouvelles, vous n’avez que des réponses contradictoires. Nos catéchistes nous rendront désormais cette besogne plus facile.

Cette année, nous en avons installé plusieurs chez les Varamas et les Mpaouins. Les premiers ont vu de bon œil l’établissement d’une école chez eux ; il n’en a pas été de même de Mpaouins. Ceux-ci auraient volontiers consenti à laisser instruire leurs enfants, si le Père avait voulu leur fournir force talia, tabac et étoffe ; mais du moment qu’on ne leur donnait rien, et qu’ils devaient même concourir aux frais d’éducation, ce fut, de leur part, que procédés malveillants à l’égard du missionnaire et menace d’empoisonnement contre le catéchiste. Leurs habitudes de rapines et des querelles amenèrent meme une expédition du chef de poste de Sette Cama. Tout naturellement, ils accusèrent le Père de leur avoir attiré ce châtiment ; aussi, sont-ils encore plus que par le passé défiants à notre égard.

4.– On sait que le Congo français a été partagé entre plusieurs compagnies concessionnaires. Le territoire de Sette Cama est échu à la société Devès. Les représentants de cette maison se sont montrés en général plein de bienveillance à notre égard. A l’occasion, on se rend mutuellement service. Tous les autres Européens de Sette Cama sont en bonnes relations avec nous et aiment à nous faire souvent visite.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT -LABRE A SETTE CAMA
1900 – 1903

1. Ministère. Ses difficultés.  – 2. Invasion de Mpawins. - 3. Chapelle.

PersonnelPP. Murard et Le Scao ; F. Achille, remplaçant le F. Auxène, rentre récemment en France ; F. Jean  (indigène), charge du jardin et le basse-cour. – Le P. Murard remplace comme supérieur le P. Dérouet, appelé à Loango en avril 1903, pour remplir les fonctions de pro-vicaire.

1.– Dix années de travaux de nos prédécesseurs nous ont dotés des beaux vergers, des plantations et des rizières qui ornent les coteaux de l´île Ngalé. Nous pouvons donc nous livrer entièrement à l´évangélisation des contrées environnantes. Nous sortons, en effet, à tour de rôle, pour aller au loin, chez les Mpawins, les Varama, les Bavili et les Baloumbou du Lac, semer la parole de Dieu parmi les païens, encourager nos anciens-chrétiens, installer des écoles rurales en faveur des enfants des villages, et choisir d´autres enfants pour notre œuvre.

Le bon Dieu a daigné bénir quelque peu nos efforts ; car, outre le retour de beaucoup de chrétiens à la pratique de leurs devoirs religieux, il se manifeste parmi les infidèles un grand mouvement de conversions. Nos registres accusent déjà 118 baptêmes, dont 112 d´adultes, en 10 mois, là où auparavant on en comptait tout au plus 60 par an.

Malheureusement, le ministère dans les villages se trouve contrarié par beaucoup de difficultés. Pendant les 5 mois de la saison sèche, les indigènes s´en vont dans les forêts à la cueillette du caoutchouc; et ensuite, au lieu de revenir la où ils étaient, ils s´établissent en d´autres endroits. En outre, comme ils habitent généralement sur les bords du lac, les voyages doivent se faire en pirogue; et pendant la mauvaise saison, l´on est exposé, dans ces frêles embarcations, aux ardeurs du soleil et à des averses incessantes.

2.– Depuis quelques annees, les Mpawins affluent vers le lac . On a fait tout le possible en efforts et en depense pour l’ecole de St-Paul, fondee en faveur de leurs enfants; mais deux fois l’eouvre est trombee, a cause des guerres qu’ils se font entre eux et aussi avec le poste. L’an dernier, cependant, nous avons eu parmis eux une trentaine de baptemes d’adultes.

Au mois de février 1902, une expédition militaire a été lancée contre ces nouvelles peuplades, avec mission de les soumettre à l’impôt établi sur les indigènes; mais elle a du se replier après un engagement, en laissant quelques morts sur le lieu du combat. Depuis lors, Européens et Camas ont à compter avec ces sauvages envahisseurs, qui affluent par ici en véritable hordes. Pour nous, nous tâchons d’entretenir avec eux de bonnes relations, afin de pouvoir plus tard les gagner à Jésus-Christ.

3.– Jusqu'à ces dernières années, le seul luxe de notre chapelle, a part l’autel, était la propreté. Grâce à des dons généreux que nous a adressés le cher P. Ussel, le premier fondateur de cette station, la solennité de nos offices se trouve bien rehaussée. C’est un moyen d’y attirer les indigènes.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT -LABRE A SETTE CAMA
1903– 1906

1. Progrès de l’évangélisation.  – 2. Travaux sur la Lagune. - 3. Nouvelle église. – 4. Excursions du P. Scao.

Personnel
PP. Murard, supérieur, économe, œuvre des enfants; Le Scao, ministère extérieur, visites des catéchistes ; F. Jérémie, service matériel et surveillance des enfants; M. Brouillet, auxiliaire, sacristie, école de Masanga. Le P. Murard avait été remplacé, durant son séjour en France en 1903, par le P. Bouleuc; il a repris son poste, au départ de celui-ci pour l’Europe, en janvier 1904.

1.– Il y quatorze ans que la station a été fondée. Grâce à la puissante impulsion donnée aux œuvres pas nos prédécesseurs, le bien continue à se développer de plus en plus. Les conversions sont nombreuses, même dans la classe plus ou moins aisée des chefs et des hommes libres. Il y a trois ans, le nombre des baptêmes inscrits n’était que de 500. Actuellement, il dépasse le chiffre de 1,000. Or, quand on connait le féroce attachement des Camas pour les pratiques du fétichisme, et les difficultés de tout genre contre lesquelles il faut lutter pour les amener à la vraie religion, on ne peut vraiment que bénir la Providence des résultats obtenus depuis la fondation de l’œuvre.

Mgr Carrie était venu en juillet 1903 visiter notre station; il fut heureux de donner la confirmation à 122 de nos néophytes. L’an dernier, il voulut bien encore venir se reposer ici pendant trois mois.

2.- Les catéchismes rédiges dans les divers dialectes de ces contrées on été revus et corriges. Quelques-uns ont déjà été imprimes par les soins du P. Murard, durant son séjour en France, en 1903-1904. (B.,IX, 486) D’autres sont prêts
à l’être, des le jour ou notre pauvre budget le permettra. Ils sont déjà en usage, et nous aident considérablement à avancer l’œuvre de l’évangélisation.

3.– L’ancienne église de la station menaçant ruine, nous avons été obligé d’en construire une nouvelle. Elle mesure 33 metres de long, sur 12 de large. Avec ses trois nefs, sa flèche de 22 metres et ses 4 clochetons, elle fait un assez bel effet et domine le beau lac de Ndogo et tous les coteaux de l’ile Ngalé. Grace au dévouement des FF. Hilaire et Achille, les travaux ont marché avec entrain, et sans qu’il y ait eu d’accident à déplorer. Elle a été terminée dans le cours de l’an dernier. Les indigènes avaient commence à nous prêter un généreux concours pour cette construction. Sur la demande du P. Supérieur, chaque village chrétien venait fournir une semaine de travail. Mais sur ces entrefaites, l’Administration s’est mis à poursuivre l’impôt sur les Noirs, qui se sont alors dispersés.

4.– Le P. Scao, spécialement chargé du ministère extérieur, continue avec zèle ses excursions apostoliques parmi les populations de l’intérieur. Ces visites font connaitre la Mission, offrent l’occasion de sauver bien des âmes, en permettant de recruter de bons enfants pour les écoles de villages et surtout pour celle de la station.

Voici ce qu’écrivait le P. Le Scao lui-même au R.P. Provicaire, à la suite d’une de ses courses dans l’intérieur, le 6 novembre 1904.

Je reviens de mon second voyage; et je profite du retour du F. Hilaire à Loango pour vous en rendre compte.

Les fruits du ministère sont les suivants: 20 baptêmes à Ste-Anne, village de Hiloundou; 3 premières communions; 3 mariages bénits ad cautelam (unions déjà contractées entre chrétiens et païens). Cela porte le nombre des chrétiens de ce village à 91 et celui des mariages à 6.
A Mourindi, 3 baptêmes. Il y a 20 enfants à l’école du catéchiste, et une cinquantaine de catéchumènes dans les villages.

J’ai pu, en outre, établir un nouveau poste de catéchiste à Dihoudou; et cela sans augmentation de dépenses.

Je suis resté une semaine dans le pays Voungou, ou jusqu’ici aucun Blanc n’avait pénétré. Après avoir franchi de hautes montagnes, à la suite des plaines de Mourindi et de Varama, ou arrive dans une région superbe, très populeuse et hospitalière. On m’a supplié d’y envoyer au moins un catéchiste. Apostolat facile; langue Varama, un seul fétiche, le muiri.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT -LABRE A SETTE CAMA
1906– 1907

1. Personnel.  – 2. Œuvre des catéchistes. - 3. Relations.

PersonnelP. Moulin, supérieur; P. Murard, ministère, catéchistes ; P. Cordier, école, ministère; F. Jérémie, matériel, surveillance des enfants; Nous n’avons pas reçu le bulletin de cette communauté.

1.– Afin de laisser au P. Murard plus de liberté pour la visite des catéchistes, le P. Moulin a été charge à sa place de la direction de la station. Le P. Le Scao, qui a quitté Sette Cama pour Boudianga d’abord et pour Nsessé ensuite, a été remplacé par le P. Cordier.

2.– Les œuvres de la Mission ont continué leur marche antérieure sans incident bien notable. C’est par les catéchistes principalement que s’exerce l’action des missionnaires. Une lettre du P. Murard nous fournit l’exposé suivant de l’état de cette œuvre importante dans les premiers mois de 1906.

‹‹ La diminution des ressources nous gène énormément, car, bon gré mal gré, les œuvres vont toujours en augmentant. J’essaie de mettre sur pied le système des catéchistes volontaires, c'est-à-dire de trouver des chrétiens qui, gratuitement et bénévolement, se chargent d’instruire les gens de leur village et de villages rapprochés. Déjà nous en avons un qui fait du bien; mais c’est difficile à obtenir, vu les habitudes du pays. J’irai résolument de l’avant dans la poursuite de ce but; il faudra sans doute beaucoup de temps pour l’atteindre; le succès n’est pas même certain; n’importe, il faut essayer: notre budget l’exige, nous ne pouvons plus payer nos catéchistes, qui font cependant un assez bon travail.

‹‹ Voici le tableau de nos œuvres de catéchuménat au 1er avril 1906:

A– Écoles-chapelles aux environs de la Mission :
 
  1° St. Francois-Xavier de Copa, catéchiste Georges Goma, 22 élèves et 37 catéchumènes dans les villages.
  2° St Pierre de Bouinou, catéchiste Pierre Mousounda, 13 élèves et 21 catéchumènes dans les villages.
  3° Notre Dame de Gamba, catéchiste Boniface Manza, 24 élèves et 13 catéchumènes dans les villages.

  Payement de chacun de ces catéchistes-intérieurs: 8 francs par mois.

B– Catéchiste ambulant, pour les villages peu distants de la Mission, pour les villages peu distant de la Mission. Alexandre Misamou, 27 catéchumènes.

C– Catéchistes à poste fixe, dans les villages de l’intérieur :
 
  1° Albert Moussavou, à Doukiki  (3 jours de la Mission) ayant déjà préparé 10 adultes au baptême, et préparant 47 autres catéchumènes;
  2° Marcellin Loemba, à Kilendou  (4 jours de la Mission) ayant déjà 58 adultes admis au baptême, et en préparant 47 autres catéchumènes;
  3° Paul Niari, à Dikaba (4 jours et demi de la Mission), ayant déjà fait admettre 32 adultes au baptême et en préparant 24 autres;
  4° Antoine Maganga; dans son village de Nzanga (4 jours de la Mission) catéchiste travaillant de lui-même et gratuitement, ayant déjà préparé 9 adultes, et en préparant 12 autres;
  5° Antoine Dindomba, à Milandou, chez les Ba-yaka (4 jours de la Mission), ayant déjà préparé 19 adultes, et restant avec 127 catéchumènes inscrits;
  6° Etienne Niama, à Moubou, chez les Ba-yakas, préparant 14 enfants pour les baptêmes d´août prochain (installé dernièrement.)

‹‹ Paiement de chacun de ces catéchistes – à part Antoine – 6 fr 50 par mois.>>

3.– A diverses reprises, nos Pères ont eu, avec l´un ou l´autre représentant de l´Administration ou des maisons de commerce, des difficultés qui ont donné lieu à des palabres pénibles; toutes ces difficultés ont fini par s´aplanir heureusement. Mais il est manifeste qu´à l´heure actuelle l´action du missionnaire exige une circonscription plus grande que dans le passé et que plusieurs parmi les Européens profitent de tout pour entraver cette action.

COMMUNAUTE DE ST.-BENOIT -LABRE A NGALÉ (SETTE CAMA)
1907– 1910

Coup d´œil rétrospectif.  – 2. Situation matérielle. - 3. État des œuvres. – 4. Ministère. – 5. Résultats. – 6. Relations et visites.

Personnel
P. Moulin, supérieur, économe, directeur des enfants; P. Cordier; FF. Jérémie, surveillance des enfants; Martin (Indigène), tailleur, jardinier, instituteur, sacristain. En mai dernier le bon F. Jérémie a du nous quitter pour rentrer en France refaire sa sante délabrée. Il a été remplace chez les enfants par le F. Martin.

1.– D´après les nombreuses et intéressantes notes, laissées aux archives, par les premiers Missionnaires de Ngalé, ce pays, il y a une vingtaine d´années, était très peuplé; de nombreuses maisons de commerce se disputaient les produits de cette contrée: ivoire, caoutchouc, gomme, huiles, amandes, etc. Les indigènes étaient heureux, un bien-être réel régnait chez eux. Ils pouvaient marchander, aller présenter leurs produits de maison en maison. Les cadeaux faisaient le bonheur de tous. Les étoffes les plus variées étaient à leur porté. O tempora, o mores ! Tout est changé. On ne voit plus, ou presque plus, de villages proprement dits. Ca et la, sur les rives du lac Ndogo, on aperçoit quelques malheureuses cases en feuille de bambous. La population a diminué dans des proportions lamentables. La variole a passé, cela est vrai, mais l´exode vers le cap Lopez, Libreville, l´Ogowé, etc., a éclairci les rangs. De plus, la maladie du sommeil, grâce à ces voyages dans les pays contaminés, a gagné la région; nombreuses déjà sont les victimes. Mais le grand fléau dévastateur, ici, peut-être plus qu´ailleurs, et maintenant plus que jamais, au dire meme des indigènes, c´est le poison; les pauvres sauvages n´ont plus l´émulation d´autrefois, ils croupissent dans leur villages, et, pour s´occuper, ils font des palabres; on peut dire que la peur du poison est leur cauchemar continuel. Malheureusement, cette crainte agit d´une façon telle sur nos chrétiens qu´ils se laissent déposséder par leur parents, leurs chefs, leur voisins, avec une facilite étonnante. Les troubles occasionnés par les Bayaka en révolte contre l´Administration, depuis trois ans, ont aussi une grande part dans cet état lamentable.

Assurément, lors de l´apparition des premiers missionnaires, il y avait de fétiches; mais il faut bien avouer qu´ils se sont multipliés et que les cérémonies en leur honneur sont bien plus fréquentes. Les pauvres païens craintifs sentent le besoin de la protection des esprits; et alors ils se livrent à corps perdu aux danses et aux pratiques superstitieuses. Chose curieuse: ces indigènes, si méprisants pour les esclaves, ont accepté les fétiches que leur ont apportés les esclaves venus de l´intérieur. Telle est en résumé la situation actuelle.

2.– La Mission de Saint-Benoit-Labre se trouve au milieu de ces populations, dans l´île de Ngalé. Le coup d´œil est assurément magnifique. Le lac, avec ses nombreuses îles, est beau. Mais dans l´île de Ngalé, pas un seul village: impossible de se déplacer sans mobiliser une équipe d´ouvriers ou d´enfants. Malgré de nombreux et persistants efforts, il faut bien reconnaitre qu´il est impossible de se créer des ressources sérieuses, Nous nous bornons à la culture du manioc, des bananiers, des arachides. Heureusement que les moutons, les canards, les poules et les pigeons réussissent convenablement. Un puits maçonné, mesurant 13 metres de profondeur, fournit une eau abondante et fraiche.

3.– Lors du dernier bulletin, la Mission de Ngalé comptait 3 écoles-chapelles: Saint-Francois-Xavier de Copa, Saint-Pierre-Clavier de Bouinou et Notre-Dame de Gamba. Les trois établissements coutaient très cher, et les indigènes devenant de plus en plus exigeants, force nous fut de les supprimer. Les enfants de ces écoles vinrent, pour la plupart, à Ngalé, grossir l´œuvre des enfants. Les catéchistes de l´Intérieur, ne trouvant pas leurs appointements assez rémunérateurs, nous abandonnèrent presque tous pour aller chercher fortune ailleurs.
Malgré ces difficultés, le bien a continué de se faire. L´œuvre des enfants compte 87 sujets. Cette œuvre a ses obstacles, elle aussi, à cause de la diversité des races: le catéchisme est enseigné en Kiloumbou et en Kivarama : les Bayaka comprennent tous la langue des Baloumbou. Les enfants, sans être parfaits, nous donnent satisfaction: la Mission de Ngalé a fourni déjà bon nombre de sujets au Séminaire, et, dans quelques jours, 5 de nos plus intelligents vont partir pour Mayoumba, ce qui portera à 15 le nombre des enfants de Ngalé présents au Séminaire et au Postulat.

4.– Le P. Cordier est chargé du ministère extérieur; et il faut avouer que son champ d´action est vaste même. Il va de village en village, voir les chrétiens, les encourager, les instruire, leur prêcher l´obligation d´assister à la messe le dimanche, autant qu´ils le peuvent. Il recherche les malades, que les Baloumbou des environs lui cachent, hélas ! trop souvent. Ses préférences vont aux Varama et aux Bayaka, qui sont beaucoup mieux disposé. Facilement on montre les malades au missionnaire, on s´empresse de se réunir autour de lui pour écouter les grandes vérités. Ces pauvres gens voudraient bien nous voir nous installer là-haut, chez eux, ils nous pressent ; mais les ressources nous manquent ; et puis, que deviendrait la Mission de Ngalé? Ce sont les Varama et les Bayaka qui entretiennent en grande partie l´œuvre des enfants.

Bien que nous n´ayons pas de catéchistes rétribués au mois, comme autrefois, l´instruction religieuse est donnée par les enfants sortis de l´œuvre. Ils sont, comme on dit, à leurs pièces; le Père, lorsqu´il fait sa visite, se rend compte de ce qui a été fait et récompense chacun suivant son mérite.

Voici le résultat du ministère pour ces deux années:
 
  - Baptêmes : janvier 1907 à septembre 1909 : 232
  - Premières communions :    81
  - Confirmations :    83

Le nombre des baptêmes depuis la fondation s´élève à 1607.

5.– Malheureusement on ne peut enregistrer de mariages contractés suivant les lois de l´Église. C´est là la plaie la plus difficile à guerir. Nos jeunes gens vivent dans les villages, au milieu des païens; les occasions sont nombreuses, les exemples néfastes. Depuis des années nous avions essayé de fonder un village chrétien: nos efforts étaient restés à peu près sans résultat. Enfin, dernièrement quelques-uns de nos plus anciens chrétiens, ennuyés des tracasseries des païens, se sont décidés à venir se grouper dans une petite île proche de Ngalé. Nous espérons que ces bonnes dispositions persisteront, et que, bientôt, nous aurons la consolation d´avoir tout près de nous un bon noyau de chrétiens mariés. Nos offices de dimanche y gagneront; notre chapelle paraitra moins grande ; car il faut bien dire que si les dimanches ne sont pas aussi bien observés qu´on pourrait le désirer, notre situation insulaire y est pour beaucoup, peut-être. Nos braves chrétiens s´excusent toujours en disant: "Père, je n´ai pas de pirogue."

6.– Nos relations avec ces Messieurs de l´Administration et du Commerce ont été bonnes: à part quelques rares exceptions, nous n´avons qu´à nous louer de leurs procédés. Ils nous font de fréquentes visites. En ce moment surtout, nos rapports avec l´Administration sont excellents.

Deux visites qui nous ont fait le plus grand plaisir, ce sont celle de Sa Grandeur Monseigneur Dérouet, en 1907 et 1908. On dirait que l´esprit du mal a voulu ralentir son ardeur à nous visiter, en lui jouant un vilain tour, dans la terrible barre de Sette-Cama. Dieu veuille que les difficultés du chemin par terre ne le rebutent pas, et que, bientôt, nous ayons le bonheur de recevoir Sa Grandeur ! C´est notre vœu et celui de tous nos chrétiens.

N G A L É  (S E T T E – C A M A)  1890
RESIDENCE DE ST-BENOIT LABRE
1911– 1916

Personnel
PP. Lefeuvre, directeur, économe ; Bonneau, œuvre des enfants. F. Martin (indigène), œuvre des enfants.

Le dernier bulletin de Ngalé remonte à avril 1910. Depuis lors, la Mission de St-Benoit Labre a vu bien des changements : 7 janvier 1912, arrivée du P. Rodriguez ; 13 octobre 1912, départ du P. Rodriguez pour Landana ; 22 février 1913, arrivée du P. Lefeuvre ; 26 juin 1913, départ du P. Lesellier pour France ; 4 mars 1914, départ du R.P. Moulin pour Loango ; 6 avril 1914, arrivée du P. Leroyer ; 17 septembre 1915, mort du P. Leroyer ; 4 octobre 1915, arrivée du P. Bonneau.

Ce simple résumé laisse entrevoir que la Mission de St-Benoit Labre, à l´exemple de son saint Patron, a vu de mauvais jours. Le bulletin de 1913 (février) ne fait pas mention de la station, car son rapport était arrivé trop tard. En voici l´historique depuis cette date. En février 1913, le P. Lefeuvre débarquait à Sette Cama et prenait la direction de l´école, tandis que le P. Lesellier était chargé du ministère. Le R.P. Moulin, supérieur, malgré une présence ininterrompue de dix années, continuait à diriger la Mission. Au mois de juin, le P. Lesellier rentrait en France. Mgr Dérouet survint quelques jours après et chargeait le P. Lefeuvre du ministère. Les classes composées de Varamas, Loumbous, Vouhous, Vilis, était confiées à l´abbé indigène Henri Tchibassa, clerc minoré. De Ngalé, Monseigneur se rendit en pays yaka ou il fondait la nouvelle Mission : N-D du Mont Carmel du Mourindi. Depuis de deux ans, il était, en effet, question d´établir une Mission chez les Varamas, où les missionnaires de Ngalé avaient construit le poste de Dikaba et y concentraient leurs efforts. L´indifférence et la prévarication des gens de la côte les avaient poussés vers l´intérieur. On trouvait là-bas une population mieux disposée et plus dense que celle du Ndogo. On comptait déjà près de 500 chrétiens et la majeure partie de nos écoliers appartenaient à la tribu Varama. Le P. Lefeuvre fit un premier et dernier voyage à Dibaka pour annoncer aux chrétiens et aux catéchumènes qu´ils faisaient partie désormais de la Mission du Mourindi, et s´en revint tout triste au pauvre ilot de Ngalé où les ruines matérielles et spirituelles s´entassaient chaque jour. L´immense et belle chapelle, vieille de dix ans à peine, était déserte et croulait déjà sous ses bases rongées par les fourmis blanches.

C´était bien l´image de toute la Mission. Un soir, c´était le 3 mars à 6 heures du soir, un télégramme arriva. Mgr Dérouet était décédé : le R.P. Moulin nommé par lui administrateur intérimaire était appelé à Loango. Le lendemain matin, le vénère Supérieur s´éloignait de Ngalé le cœur plein d´émotions et de douleurs. Le P. Lefeuvre demeurait seul avec l´abbé et le frère indigène. Il y avait urgence à construire une chapelle : il fut décidé que les briques remplaceraient les planches, et malgré l´inexpérience on se mit à l´œuvre. Un ouvrier jardinier habitue à aligner des choux et des salades fut élève au grade de maitre-maçon, et, tant bien que mal, les murs se dressèrent épais, lourds, mais puissants comme des remparts. Entre temps le jeune P. Leroyer débarquait à Sette Cama. Le pauvre Père était bien fatigué. Descendu de Nsessé dans un état d´épuisement complet, à la suite d´un second accès de fièvre bilieuse hematurique, il jugea qu´il n´a pas encore gagné le repos et fut enchanté de venir respirer le bon air de Ngalé. Sa santé se refit promptement, et quand éclata la guerre il se déclara prêt à partir : il fut, en effet, mobilisé avec le P. Lefeuvre, et chargé comme lui de la défense de ….Ngalé ! En février 1915, le cher Père était frappé d´un troisième accès bilieux, dont il triompha encore. Il reprit avec ardeur l´étude de la langue, les classes de chant, le jardinage et le ministère extérieur. En septembre, un nouvel accès de fièvre le surprit, ‹‹ mais, disait-il gaiement, j´y suis habitué ››. Hélas ! alors qu´on le croyait sauvé, il s´endormit de son dernier sommeil. La Mission de Ngalé avait au ciel un nouveau protecteur, car là-haut le cher Père continue son œuvre d´apôtre ; mais dans le cœur de son confrère, il y avait une blessure cruelle. Tous deux, cachés dans cet îlot de la vaste Afrique, avaient vécu cette vie d´affection intime et joyeuse qui peut triompher de toutes les souffrances.

L´arrivée de Mgr Girod fut un rayon de soleil dans un gouffre ténébreux. En était-il ainsi pour lui? Il parvenait à Ngalé dans une étroite et misérable pirogue, où, pendant huit heures, sous la pluie et le vent, il avait du garder l´équilibre, tandis que ses rameurs yakas ou vilis cherchaient leur route à l´entour des îles, et l´arrosaient copieusement de leurs pagayes inexpérimentées. Monseigneur était accompagné du P. Bonneau, qu’il avait du soustraire à la belle Mission du Mourindi pour lui confier l´œuvre des enfants de Ngalé. Sa Grandeur demeura huit jours au milieu de nous, et reprit le chemin de Loango par Mayumba. Il avait béni notre chapelle et donné la confirmation à quarante nouveaux chrétiens ; mais il avait du aussi interdire l´entrée de la chapelle à une centaine d´apostats et de prévaricateurs.

Notre chapelle en brique non cuites est depuis longtemps couverte en tôles et livrée à la cuite. Reste encore à enduire les murs au ciment ou à la chaux pour les préserver des tornades, mais il n´y a plus de chaux ni de ciment. Parler de clocher, de vitraux, de chemins de croix, etc., ne serait pas de saison. Les fourmis blanches ont détruit notre magasin aux vivres. La maison des Pères, celle des auxiliaires et celle des enfants tiendront-elles jusqu´à la fin de la guerre?

La nécessité de restreindre nos dépenses nous a obligé à congédier les canotiers qui sont remplacés par des écoliers. Un petit moteur à pétrole ferait bien mieux notre affaire, mais saint Benoit Labre n´a jamais songé à enrichir sa Mission. En ce temps de guerre, nous ne lui demandons même pas du pain.

Si la situation matérielle de Ngalé n´est pas brillante, l´état spirituel de la Mission est plus désolant encore. Pourquoi cacher la vérité? Après 25 ans de fondation, nos registres accusent 2.128 baptêmes, 700 premières communions, 928 confirmations, 622 enfants admis à l´Œuvre. Si l´on met à part 500 chrétiens cédés de la Mission du Mourindi, les chrétiens défunts, les baptêmes de moribonds, il reste peut être 600 chrétiens dispersés de tous côtés : les uns à Libreville, les autres à Cap-Lopez et dans l´Ogoué, et ailleurs ; d´autres enfin travaillent aux factoreries et, à l´exemple de leurs maitres, ne pratiquent plus. Aussi quel vide écœurant dans notre chapelle ! Cette année le grand jour de Pâques n´a pu réunir que 120 chrétiens, dont 80 seulement ont pu s´approcher des sacrements. Les autres, plus d´une centaine pour les habitants de la lagune, vivent dans le concubinage ou sont entrés dans le fétiche bwiti.

Quel est l´avenir réservé à Ngalé? L´oeuvre des enfants, selon le désir de Monseigneur, sera l´objet principal de notre ministère. Ne pouvant plus se recruter chez les Varamas, elle ne saurait se fournir dans les villages de la lagune dépeuplés par le vice et la maladie du sommeil : il faudra chercher ailleurs.

La méthode d´évangélisation actuellement suivie est celle-ci. Quatre catéchistes domiciliés à Ngalé s´en vont chaque jour dans les villages enseigner le mot à mot du catéchisme aux personnes qui le désirent. Chaque dimanche, les catéchumènes doivent assister à la messe et au catéchisme qui suit, et cela pendant deux ans. Ceux qui auront, par leur persévérance et leur instruction, donné des preuves de leur bonne volonté et de leur conversion, seront alors admis au baptême.

Restera encore à implanter le mariage chrétien, à fonder des familles chrétiennes. C´est là le point capital d´ou dépend l´avenir de notre chère Mission. Mais pourquoi la force sublime qui a conquis l´antique Rome ne triompherait-elle pas du paganisme congolais? Il est vrai qu´elle y a mis quatre siècles, et dans cent ans il n´y aura plus de Loumbous.

Statistique depuis le 1er janvier 1913 jusqu´au 1er décembre 1915 : baptêmes, 109, dont 51 de moribonds ; premières communions, 43 ; confirmations, 61 ; mariages, 8.

A. Lefeuvre.

N G A L É  (S E T T E – C A M A)  1890
RESIDENCE DE ST-BENOIT LABRE
1917– 1922

Personnel
PP. Cyrille Moulin, directeur; Joseph Bonneau, ministère ; Abbé Stanislas Kalla, prêtre indigène, instituteur ; F. Martin, indigène.

Depuis le dernier Bulletin (1916), la mission a subi bien des vicissitudes. Menacées de suppression deux fois, elle continue cependant à vivoter, attendant des jours meilleurs. Pour expliquer ces difficultés, il est necessaire de donner quelques détails pénibles.

Le dernier Bulletin annonçait la mort du bon Père Leroyer, survenu le 15 septembre 1915. Cette mort n´était que le prélude des misères qui allaient s´abattre sur la pauvre station de Ngalé.

Le Père Bonneau avait remplace le Père Leroyer ; le Père Lefeuvre était directeur de la station.

En janvier 1917 le Père Bonneau épuisé prenait le chemin de France. Il ne devait revenir qu´en octobre, très peu remis ; mais les règlements militaires étaient là.

Pendant ce temps, le Père Lefeuvre était seul avec le Frère Martin. Il est vrai que Mgr Girod lui fit une rapide visite, qu´il lui envoya pour quelques semaines l´un après l´autre les Abbés Indigènes Raymond et Henri, puis le Fr. Eucaire.

Mais c´était le temps de la guerre et le P. Lefeuvre resta seul plusieurs mois. Il était, antérieurement, beaucoup fatigué à construire la chapelle des briques séchées au soleil, construction solide qui durera.

Mais au sujet de cette construction, le Père avait déjà eu des difficultés. Quand la chapelle fut finie, il aurait voulu qu´elle fut pleine de chrétiens les jours de dimanches et de fêtes d´obligation, et de chrétiens qu´aucun obstacle n´aurait éloignés des sacrements.

Hélas, notre population, comme tant d´autres en Afrique, chrétienne surtout en surface, ne lui donna pas satisfaction. Le Père en vint aux anathèmes.

Des chrétiens étaient entrés dans le fétiche Bwiti ; d´autres, sans y entrer, dansaient les danses rituelles de ce fétiche. Le bouillant Père, après avoir, mais en vain, voulu interdire ces pratiques par l´administrateur local, se résolut à agir lui-même.

Ce zèle intempestif fit plus de mal que de bien : chrétiens et païens le prirent en haine. Le Père croyant que cette haine était dirigée contre la mission, envoya à Loango rapport sur rapport, demandant le transfert de la mission ailleurs. Ceci se passait en mars-avril 1918. A ce moment, le Père, miné par le découragement plus que par l´épuisement, se coucha pour ne plus se relever.

Mgr Girod partait alors de Loango pour faire la visite des stations du nord du Vicariat apostolique. Il reçut en route plusieurs télégrammes du P. Bonneau. Monseigneur accéléra sa marche, prit une insolation sur la plage et enfin arriva exténue à la mission. Le P. Lefeuvre était à l´extrémité : il mourut le surlendemain soir. Monseigneur, alité depuis son arrivée et souffrant de violents maux de tête, put se lever pour lui donner une dernière absolution.

La fermeture de la mission avait été décidée par Mgr Girod, sur les violents rapports du P. Lefeuvre. Monseigneur, sous l´empire du découragement et de la maladie, écrivit une lettre au P. Moulin, alors Supérieur de la mission de Mayumba, lui ordonnant de venir à Ngalé pendant quelques semaines pour démonter les bâtiments et mettre de côté ce qui pourrait servir à une nouvelle station. ‹‹ La réponse affirmative de la Mission-Mère, ajoutait-il, n´était qu´une affaire de jours….››

Le P. Moulin se mit aussitôt en route, non sans tristesse. Avant même son arrivée à la mission, le Père apprenait la cause de toutes ces misères, la consternation du pays et une démarche faite par les Chefs près de l´Administrateur local pour empêcher la fermeture de la mission. Les Européens de Sette Cama, de leur coté, étaient stupéfaits de cette décision. Mgr Girod dut se rendre à l´évidence. Et la mission continua à vivre provisoirement. L´année suivante, après une visite inopinée de Monseigneur qui trouva tout en ordre, il ne fut plus question de suppression.

En 1920, le R.P. friteau, récemment nommé Administrateur apostolique, nous chargeait de la Mission de N-D. du Mont-Carmel du Mourindi. L’abbé Stanislas était attaché à la Mission de Ngalé et nous arrivait en novembre malade. En décembre, le R.P. Friteau venait nous visiter et, en débarquant, reçut le baptême de la barre. Il en fut quitte pour un bain complet.

Ministère
– Nous avons ici deux sortes de ministères bien différents: le ministère en lagune et le ministère à l’intérieur.

Le ministère en lagune est de beaucoup le plus difficile. Une compagnie concessionnaire avec monopole a ruiné en grande partie le pays, le maintenant dans une inactivité désolante. Alors, au nord, Port Gentil et Libreville ont attiré les gens. Par l’annonce de salaires exagérés, quoique bien souvent non-payés, des recruteurs habiles ont dévasté la région : tout ce qui est fort et jeune a quitté le pays déjà peu peuplé. Il ne reste que les vieux et les tout jeunes. Par manque de bras pour les défrichements des plantations, la famine est venue et la maladie du sommeil, latente depuis de longues années, a étendu ses ravages.

De plus.la population est disséminée dans les nombreuses iles et criques de la lagune, en une poussière de petits villages comprenant au plus sept ou huit cases, et beaucoup n’en ont que deux. Cet éparpillement a fini par décourager les catéchistes mieux disposés, si bien qu’a l’heure actuelle, nous n’en avons  plus un seul sur cette partie de territoire de la mission. Le ministère y consiste donc surtout à visiter les malades, réchauffer la tiédeur profonde des trop peu nombreux chrétiens qui sont à notre portée, enfin à prier en attendant des jours meilleurs.

Il faut cependant signaler un effort tenté par l’administrateur de Sette Cama, pour réunir la population en villages un peu plus gros. Nous croyons qu’à l’heure actuelle l’effort administratif est à bout de souffle. Nous en avons du moins profité pour déterminer une vingtaine de chrétiens à se réunir en village.

Les gens de la lagune donnent assez facilement leurs enfants à la Mission: c’est le plus clair du ministère que nous pouvons faire ici. Nous pouvons aussi en avoir de l’intérieur. Leur nombre est d’une soixantaine. Avec leur travail aux champs ils se nourrissent facilement. Ce qui coûte, c’est l’habillement, pourtant réduit au strict necessaire: le pagne. Ils marchent assez bien sous la direction du P. Moulin et du F. Martin.

Le ministère à l’intérieur, quoique lointain, donne plus de résultats. La population y est plus dense, plus saine aussi moralement. Elle consiste en une partie des deux tribus Varama et Esira.
Jusqu’en 1918, il n’y avait pas eu de ministère régulier dans ces régions. La proximité du poste administratif de Bongo avait détourné les missionnaires de Ngalé d’y installer des catéchistes: ils préféraient s’éloigner d’une journée et demie, afin d’avoir leurs coudées franches. Ils ont ainsi évangélisé la partie de la tribu Varama qui est passée à la Mission de N.-D. du Mont-Carmel du Mourindi, lors de la fondation de cette mission.

Le P. Bonneau plaça donc d’abord un catéchiste à Bongo et grâce a la bonne volonté de cet indigène, le bien a commencé à se faire, quoique lentement. En janvier 1921, ces chrétiens ont eu la joie d’être visités par le R.P. Friteau, qui administra le sacrement de Confirmation à 15 d’entre eux. Enfin, cette année, le Père a pu placer deux autres catéchistes. Les gens sont bien disposés ; il y a là une centaine de catéchumènes.

Depuis le dernier Bulletin, nous avons eu: 335 Baptêmes ; nous comptons en juin 1922: 740 chrétiens, 55 ménages chrétiens, 128 catéchumènes.

N G A L É  (S E T T E – C A M A)  1890
RESIDENCE DE ST-BENOIT LABRE
1926– 1928

Personnel
PP. Cyrille MOULIN, directeur; Henri HEIDET; Abbé GNAMBI ; F. Martin, indigène.

En juillet 1922, la station se composait du P. Moulin, directeur, du P. Bonneau, de l’abbé Stanislas et du F. indigène Martin. L’abbé Stanislas fut rappelé à Loango en avril 1924 et remplacé par l’abbé Pierre Ngouassa; un second Frère indigène, Henri, nous fut adjoint.

Déjà en février précédant le P. Bonneau avait quitté Ngalé pour ouvrir la station de Mourindi; en juin suivante, arrivait l’abbé René Gnambi, puis en novembre 1925 le P. Heidet; par suite l’abbé Ngouassa était rappelé à Loango.

Disons tout de suite que Mgr Friteau nous a visités chaque année; que le P. Baraban a pendant quelques jours rompu la monotonie du séjour de notre île; qu’un inspecteur administratif a enfin passé dans notre école, s’est déclaré satisfait et nous a fait des belles promesses.

Espoir quand même.
- Le dernier bulletin de Ngalé déplorait l’exode de nos populations: la plaie depuis lors s’est creusé davantage.

Malgré les promesses formelles de l’Administration supérieure, les coupeurs de bois de Fernan Vaz et de Port Gentil venaient, munis d’autorisations signées par le Gouverneur, faire de véritables razzias. De plus le manque de fonctionnaires a fait rattacher les subdivisions de Sette Cama, de Bongo, de Malimba, à la circonscription de Port Gentil. Dès lors, les coupeurs de bois n’ont plus besoin de se gêner. Ils peuvent recruter dans toute la circonscription de Port Gentil, et les indigènes peuvent quitter leur villages sans même avertir l’Administration. Il y aurait de quoi se décourager: mais un fait nouveau vient de se produire et qui changera la situation. A Sette Cama. Depuis 25 ans, il n’y avait qu’une seule société de commerce, avec monopole. Tout le monde comprend alors la situation des indigènes. Or ce monopole vient d’être dénoncé, et on annonce l’arrivée de plusieurs nouvelles maisons de commerce. Nos fugitifs n’attendent que la confirmation de la bonne nouvelle pour abandonner Port Gentil, Fernan Vaz, etc., etc., où ils meurent de faim malgré leurs gros salaires, et revenir dans leur pays riche de poisson de toute sorte, riche en manioc, en bananes, en patates, etc., etc. Ventre affamé n’a pas d’oreilles, cela est vrai pour tous les humains, mais surtout pour les Noirs. Donc espérons une renaissance.

Résultats obtenus
– Malgré toutes ces difficultés, la station de Ngalé n’a-t-elle pas eu quelques résultats?

  1° Le Vicariat de Loango possède huit prêtres indigènes en exercice. Cinq sont des enfants de Ngalé. Il y a au séminaire un grand séminariste en deuxième année de philosophie : c’est un ancien enfant de Ngalé. Donc la station de Ngalé a fourni à elle seule plus que toutes les autres stations de Vicariat réunies. De plus, il y a au petit séminaire de Mayumba quatre petits séminaristes, qui donnent satisfaction. Ils ont quitté Ngalé, il y a trois ans. Ce résultat n’a-t-il pas une certaine importance? 

  2° Nous avons une école à Ngalé qui s’est maintenu avec soixante élèves environ. On peut avoir facilement des enfants. Ces enfants ne sont pas durs : ils donnent satisfaction. Les terrains de l’île de Ngalé fournissent abondamment le manioc, les bananes, le maïs : le poisson nous entoure, on n’a qu’a se donner la peine de le pêcher. Si l’on veut obtempérer aux désirs du Souverain Pontife, il faut augmenter cette œuvre, faire un choix judicieux et peupler le séminaire. Est-ce à abandonner?

Résultats.
– Voici les résultats du ministère à Ngalé depuis le dernier bulletin (juillet 1922 – mai 1926).

Baptêmes, 414, dont 114 d’enfants, 211 d’adultes et 89 in artculo mortis ; Confirmations, 167 ; Mariages, 52 ; Communions pascales, 875 ; Communions, 40.800. Catéchumènes, 600 ; Catéchistes, 6.

A remarquer que le P. Moulin est resté seul Européen à Ngalé pendant prés de trois ans.

‹‹ Pro Domo ›› - Ngalé a été maintes fois menacés d’être fermé. Je suis ici depuis 22 ans; j’ai connu la Mission florissante, je l’ai connue au plus fort des épreuves. Elle était comme un malade : jamais je n’ai désespéré d’elle; je suis resté à son chevet, je l’ai soignée avec mes faibles moyens. Certains y ont vu de ma part une obstination déraisonnable. Je reste convaincu que le malade reprendra des forces et reviendra à la santé. Mon espoir le plus ardent est de voir sa parfaite guérison et de dormir mon dernier sommeil près de PP. Sublet, Herpe, Lefeuvre, Leroyer, et des FF. Anaclet, Similien, des nombreux chrétiens de notre cimetière. Sur ma tombe les gens diront : ‹‹ Il était un peu avare, mais il nous aimait bien, il est reste chez nous. ››

P. Moulin.

N G A L É  (S E T T E – C A M A)  1890
RESIDENCE DE ST-BENOIT LABRE
1928– 1930

Personnel
M. l’Abbe Benjamin NSESSE, directeur; M. l’Abbe Hyacinthe BADINGA, école ; F. Martin (indigène).

A Sette Cama plus qu’ailleurs sévit le fléau de la dépopulation. Lors du passage du P. Soul, Visiteur, en 1928, une fois de plus se posa la question de la suppression de cette station. Oui, mais que deviendraient ses 600 chrétiens? Les stations voisines, Mayumba et Mourindi, sont à cinq et six jours de marche, pourraient-elles sérieusement s’en occuper ? D’autre part, que penseraient de cette mesure les cinq prêtres indigènes sortis de cette Mission ? Elle n’était pas pour leur plaire, ce la va de soi. Aussi, une autre solution fut-elle envisagé : confier la station au Clergé indigène, puisque la présence d’un Père ne semblait plus motivée. L’expérience était risquée, mais, de l’avis unanime des Pères du Vicariat, méritait d’être tentée. Elle le fut. Le 15 juillet 1929, après avoir mis tout en ordre, le P. Heidel passait les rênes du gouvernement à l’Abbe Benjamin, son vicaire depuis deux ans, disait adieu à Sette Cama et prenait le chemin de Pounga. A l’Abbe Benjamin était adjoint l’Abbé Hyacinthe, professeur au Séminaire et le F. Martin, déjà chargé des enfants.

Depuis, un an s’est écoulé. On ne peut, évidemment, tabler sur un laps de temps aussi court pour tirer des conclusions certaines, mais enfin cette première année d’expérience permet de bien augurer de l’avenir. Autant qu’il est possible de s’en rendre compte, la station marche normalement, le ministère est fait sérieusement. Au cours de la dernière campagne apostolique (juillet 1929-juillet 1930), on a enregistré 258 baptêmes, 30 mariages, 242 communions pascales. Au 1er juillet 1930, le nombre des chrétiens était de 794, celui des catéchumènes de 545 ; l’école comptait 75 élèves internes. Pour une station condamnée à mort, ce n’est pas trop mal, elle peut supporter la comparaison avec d’autres réputées viables. L’expérience va donc continuer, et, si elle réussit, nous l’étendrons… prudemment.